"Il y a cinq ans, ce prunier donnait environ 300 kilogrammes de fruits en une saison", a déclaré à Middle East Eye cet agriculteur palestinien de 46 ans. "Mais cette année, toutes mes terres ont donné moins de 50 kilogrammes de fruits à cause de l’augmentation des températures, du manque de pluie et de la guerre israélienne de 11 jours."
Abu Saeed est l’un des nombreux agriculteurs de la bande de Gaza assiégée à avoir été témoin de la façon dont l’agriculture de l’enclave palestinienne a souffert ces dernières années en raison des effets combinés du changement climatique et de l’impact de l’occupation israélienne.
Les maigres récoltes ont rendu la vie plus précaire pour les travailleurs agricoles déjà en difficulté dans ce territoire appauvri - et l’on craint que la situation ne fasse qu’empirer.
Une pluie rare
"La pluie et le froid sont d’une importance capitale pour mes cultures, qui fleurissent au printemps. En mars de cette année, des moussons chaudes sont arrivées et ont endommagé la plupart des fleurs", explique Abu Saeed. "Dès que j’ai vu cela, j’ai su que je perdrais cette saison".
Certaines cultures sont devenues beaucoup plus difficiles à cultiver à Gaza au fil des ans en raison du changement climatique, a-t-il ajouté, ce qui a conduit certains agriculteurs à abandonner les prunes, les pêches et les amandes et à les remplacer par d’autres fruits et légumes plus à même de résister aux conditions climatiques changeantes.
Salameh al-Qarnawi, 47 ans, est confronté au même dilemme qu’Abu Saeed. Il loue 25 dunams (six acres) de terres plantées d’oliviers et a essuyé de lourdes pertes cette année à cause du changement climatique.
" Il y a dix ans, la production totale d’olives sur mes terres était excellente ; même les cinq dernières années étaient bonnes ", a-t-il expliqué à MEE. " Mais cette année est la pire de toute ma vie.
"Mes terres ont produit environ 75 à 75 pour cent de moins que l’année précédente", a ajouté Qarnawi. " J’ai perdu 8 000 shekels (2 573 dollars) cette saison : la production couvre à peine le coût des engrais et du loyer de la terre. "
Les 40 jours les plus froids de l’hiver, qui arrivent généralement vers janvier, sont cruciaux pour que les oliviers portent des fleurs, et plus tard, des fruits, a poursuivi l’agriculteur.
"Le mois de janvier a été un peu chaud cette année, donc mes oliviers n’ont pas bien fleuri, et des jours inhabituellement froids sont arrivés fin février au moment de la floraison des oliviers", a expliqué ce père de 12 enfants en se promenant sur ses terres agricoles près du camp de réfugiés d’al-Bureij, dans le centre de Gaza.
Mohammed Abu Matwy, 63 ans, a également vu ses vignes souffrir du manque de pluie sur ses 40 dunams (9,9 acres) de terres agricoles près d’al-Nuseirat.
"Normalement, la quantité de pluie tombée en hiver est suffisante pour faire vivre les vignes toute l’année, mais il n’a plu que deux fois jusqu’à présent cette saison", a-t-il expliqué à MEE. " J’ai dû installer un réseau d’irrigation et acheter à mes frais un générateur à combustible pour arroser les arbres."
Le coût des générateurs est venu s’ajouter aux 22 000 shekels (environ 7 000 dollars) qu’Abu Matwy dit devoir déjà pour les engrais, alors que ses vignes n’ont produit que 10 tonnes de raisins cette année, soit cinq à six fois moins que d’habitude.
"Je n’ai pas d’autre choix à cause du changement climatique, sinon les arbres vont mourir", a-t-il ajouté.
Les cultures souffrent
Fadel al-Jadba, directeur du département d’horticulture du ministère de l’Agriculture à Gaza, a déclaré à MEE que la production agricole avait connu un déclin notable au cours de la dernière décennie dans l’enclave palestinienne.
M. Jadba a donné comme exemple les olives du territoire, un symbole important en Palestine. En 2010, Gaza comptait 16 815 dunams (4 155 acres) d’oliviers qui ont produit 15 386 tonnes d’olives, alors qu’en 2021, 32 850 dunams (8 117 acres) plantés d’oliviers n’ont produit que 10 000 tonnes de fruits.
Les effets du changement climatique sur les ressources en eau à Gaza sont criants. L’année dernière, Gaza n’a pas connu plus de 30 jours de pluie, contre 42 jours de pluie en 2018, selon Karam Al-Aour, spécialiste de l’environnement à l’Autorité de l’eau à Gaza.
"Bien que le nombre de jours de pluie ait diminué au cours des dernières années, les événements météorologiques extrêmes ont augmenté, ce qui signifie que la quantité de pluie tombant en une journée augmente", a-t-il expliqué à MEE. "C’est un phénomène négatif car de telles quantités de pluie vont à la mer et ne remplissent pas l’aquifère, ce qui signifie que le niveau de l’aquifère baisse ensuite", car il est incapable d’absorber de grandes quantités d’eau de pluie en un court laps de temps.
Le réchauffement climatique a considérablement affecté les cultures à Gaza, certaines - comme le raisin, les olives et les goyaves - ayant vu leur rendement diminuer fortement, tandis que d’autres, mieux adaptées aux étés chauds et aux hivers doux et secs, comme les dattes, sont apparues comme une alternative, a expliqué à MEE Nizar al-Wahidi, expert agricole à la retraite.
"Le changement climatique a également permis l’émergence de parasites agricoles à Gaza, comme le capita ceratitis et les aleurodes, qui n’étaient pas présents dans la bande il y a dix ans ", a-t-il ajouté.
"Que Dieu m’aide"
L’offensive israélienne de 11 jours sur la bande de Gaza, au début de l’année, a ajouté l’insulte à la blessure d’Abu Saeed.
Le conflit, qui a débuté le 10 mai, a commencé lorsqu’Israël a lancé des frappes aériennes dans la bande de Gaza en représailles aux roquettes tirées par des groupes armés palestiniens. Ces roquettes avaient été tirées en réponse à un plan israélien d’évacuation des Palestiniens de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est et à des attaques des forces israéliennes contre des fidèles à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa.
Le conflit a tué 253 Palestiniens, dont 66 enfants, et en a blessé près de 2 000.
Pendant cette période - qui correspondait à la saison de la récolte de certains de ses fruits - l’agriculteur palestinien ne pouvait pas atteindre sa terre située à la limite orientale d’al-Bureij, dangereusement proche de la barrière séparant Gaza d’Israël.
"Après la guerre, je suis allé sur mes terres et j’ai vu des prunes et des pêches pourrir sur le sol", se souvient-il. "À ce moment-là, je savais que j’allais sombrer dans les dettes et c’est ce qui s’est passé ; j’ai perdu environ 6 000 shekels (1 900 dollars) juste pendant cette saison... Si les arbres avaient été récoltés normalement, j’aurais obtenu au moins 24 000 shekels (7 600 dollars)".
Qarnawi a également subi de lourdes pertes en raison du conflit.
"Pendant la guerre de mai, j’ai également perdu environ 2 000 dinars jordaniens (2 820 dollars) car je ne pouvais pas atteindre mon terrain où j’avais planté des légumes à l’est d’al-Bureij", a-t-il déclaré. "Lorsque je suis allé sur mes terres après le cessez-le-feu, j’ai constaté que la moitié des légumes étaient secs en raison du manque d’eau. Personne ne m’a encore dédommagé.
"Que Dieu m’aide à couvrir les frais de mes fils et de ma fille".
Une "base brisée"
Le dernier épisode significatif de violence armée est toutefois loin d’être le seul impact de l’occupation israélienne ressenti par les agriculteurs palestiniens, 14 ans après un blocus paralysant de Gaza.
Abu Saeed a vu les forces israéliennes passer le bulldozer sur son terrain trois fois au cours de la dernière décennie - une pratique effectuée par l’armée sous le prétexte d’aplanir le terrain près de la barrière de séparation afin de donner aux troupes une meilleure visibilité dans le territoire palestinien.
"Le changement climatique et l’occupation, c’est trop", a déclaré Abu Saeed.
Avant même le siège, Abu Matwy a vu 130 dunams (32 acres) de terres qu’il cultivait avec des prunes, des pêches, des amandes et des agrumes à l’est du village d’al-Msader rasés par les bulldozers israéliens en 2000, au début de la deuxième Intifada. Il a reçu une indemnisation dérisoire de 1 400 dollars.
Le siège a également eu un impact désastreux sur l’approvisionnement en eau à Gaza, affectant l’agriculture.
"L’eau salée et contaminée tue de nombreuses cultures", a noté Jadba. "En plus de cela, l’occupation [israélienne] pulvérise intentionnellement des pesticides de temps en temps pour tuer les cultures gazaouies le long de la zone de démarcation."
En plus de l’effet du réchauffement climatique, les raisons susmentionnées "menacent la sécurité alimentaire et l’environnement fragiles de la bande", a-t-il expliqué.
Deux habitants de Gaza sur trois souffrent d’insécurité alimentaire, et le minuscule territoire affichait un taux de pauvreté de 53 % en 2021, selon Samer Abd al-Jaber, directeur pour la Palestine du Programme alimentaire mondial (PAM).
"Les agriculteurs sont toujours la base essentielle pour atteindre l’autosuffisance alimentaire - mais à Gaza, nous sommes une base brisée", a déclaré amèrement Abu Matwy.
Traduction : AFPS